samedi 16 mai 2015

Syrie : La chaîne qatarie Al Jazeera appelle au génocide des alaouites

Epinglée pour de grossières manipulations depuis la guerre en Libye, la chaîne Al Jazeera s'illustre une nouvelle fois comme instrument de propagande au service du Qatar. Mais cette fois, toutes les limites ont volé en éclats après le débat organisé par le journaliste « vedette » Fayçal Qassem. Je vous demande de voir et d'écouter cette vidéo. Elle est d'une importance capitale. Le ton, les mots sont d'une violence inouïe : « Les alaouites doivent êtres génocidés avec leurs enfants ». « Les alaouites sont des animaux stupides ». « Les alaouites sont pires que le diable ». « Sondage : les alaouites méritent-ils d'être génocidés ? Réponse : 97 % de oui ». Vis-à-vis de ces faits, nous vous proposons à nouveau cet article paru en décembre 2014 afin de contrer les média-mensonges sur les alaouites syriens et afin de vous donner un aperçu plus clair de ce qui se passe en Syrie.
Que ce soit sincère ou par ruse, le fruit d’un calcul stratégique ou par désintéressement, les gouvernements occidentaux, la France en tête, ont fait de la protection des minorités la pierre angulaire de leur politique étrangère. Pour autant, le mépris affiché par nos « diplomaties » envers les minorités de Syrie a de quoi interpeller au moment où l’Islam conquérant et excommunicant [3] ravage tout sur son passage au nom de la guerre contre les « hérétiques » et les « impies ». En tête de liste des communautés menacées d’extermination, les alaouites, accusés de tous les maux par des groupes armés qui prospèrent grâce à l’aide logistique du régime d’Ankara, aux pétrodollars et à la propagande suprématiste diffusée via les réseaux sociaux et les chaînes satellitaires du Golfe. De mémoire, jamais un programme de solution finale revendiqué et assumé par ses auteurs, en l’occurrence les groupes djihadistes anti-Assad, n’a été tant occulté par les médias occidentaux.
Durant les années 90, cet Islam excommunicant a ravagé l’Algérie pourtant sunnite mais pas assez au goût des précurseurs d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Il a connu une progression fulgurante à la faveur de la guerre mondiale contre le terrorisme lancée après les attentats du 11 septembre 2001.
Suite à l’occupation anglo-américaine de l’Irak, ce même Islam revanchard a infiltré les rangs de la légitime résistance patriotique, transformant la guerre contre l’envahisseur en une campagne d’extermination anti-chiite sous l’impulsion d’Abou Moussab al Zarqaoui.
Après l’Irak, c’est la Syrie laïque, nationaliste, multiconfessionnelle et anciennement omeyyade qui éveilla l’appétit des djihadistes.

Le régime syrien n’est pas alaouite

Dans les pages des journaux occidentaux, la brutalité légendaire des forces de sécurité syriennes envers toute forme de dissidence a donné lieu à une dangereuse justification du discours sectaire diffusé par les djihadistes. Tant et si bien que les médias dominants ont repris à leur compte la lecture confessionnelle du conflit syrien.


Dans la propagande djihadiste comme dans les dépêches de la grande presse, la guerre de Syrie a été décrite à l’aune d’un pseudo conflit chiite/sunnite. Il est pourtant aussi absurde et irresponsable de parler de guerre des chiites contre les sunnites que de guerre des chrétiens contre les musulmans.
Cette lecture religieuse aux relents coloniaux fait passer les peuples d’Orient pour des êtres inférieurs sur le plan intellectuel et esclaves de leur indépassable identité confessionnelle.
Pour que la guerre de Syrie soit sunnite/alaouite, il aurait fallu non seulement que les alaouites veuillent imposer leur religion aux sunnites mais aussi que les sunnites hostiles aux alaouites soient majoritaires.
Primo, la religion alaouite est non prosélyte. Les alaouites ne le sont plus depuis la dynastie des Hamdanides qui s’est éteinte aux alentours de l’An Mille. Victimes de persécutions immémoriales, les alaouites se sont depuis lors réfugiés dans les montagnes les plus inaccessibles. Les villes leur furent interdites des siècles durant. Au siècle dernier, seules leurs filles étaient tolérées comme esclaves domestiques. Les alaouites n’ont pu devenir des citadins et des citoyens syriens à part entière qu’après l’avènement du parti Baas en 1963. Depuis, les alaouites loyalistes arborent le drapeau national, se réclament de la laïcité et combattent dans des milices multiconfessionnelles comme les Forces de défense nationale, (NDF), les Brigades Baas ou Résistance syrienne (marxiste) alors que les djihadistes anti-Assad puisent ad nauseam dans le glossaire du wahhabisme conquérant et jurent de vouloir liquider les alaouites jusqu’au dernier.

Secundo, une majorité de sunnites syriens vivent en zone loyaliste, servent l’armée nationale, affrontent les groupes armés anti-régime, siègent dans le gouvernement, l’administration, la magistrature, la police, le parti Baas et les autres partis composant le Front national progressiste, force dominante à l’Assemblée du peuple. L’erreur originelle des experts qui privilégient une lecture confessionnelle du conflit syrien vient de leur manie à vouloir classifier les êtres humains en « espèces » et en « sous-espèces » dans des colonnes bien distinctes.

Une telle démarche ignore 50 ans de baassisme durant lesquelles le parti dominant s’est attelé à gommer ces colonnes, à créer une sorte d’ « homme nouveau » à la sauce baassiste, d’ « homo baassicus » à la fois laïc et déiste, à la fois musulman et chrétien, à la fois alaouite et sunnite, à la fois syrien et panarabe.

Les alaouites ne sont pas des chiites

Pour simplifier la lecture du conflit syrien, les « syriologues » de nos plateaux télé ont dépeint les chiites et les alaouites comme des groupes identiques en raison de leur référence commune à la famille du prophète de l’Islam et à l’imam Ali en particulier. Est-ce vrai pour autant ?
La Syrie compte à peine 1% de chiites soit moins de 250.000 âmes sur 23 millions d’habitants contre 3 millions d’alaouites (12% de la population totale). Ainsi, même comparés aux alaouites, les chiites syriens constituent un groupe religieux archi-minoritaire.
De plus, les alaouites ont une religion antinomique fort éloignée du dogme et du culte chiites.
En effet, contrairement aux chiites, les alaouites ne respectent aucun des 5 piliers de l’Islam. Ils ne vont même pas à la mosquée. On peut en conclure que du point de vue rituel, les chiites sont bien plus proches des sunnites que des alaouites.
Et pour ajouter à la confusion, notons que le Grand mufti (sunnite) de Jérusalem Haj Amin al Hussein émit en 1936 une fatwa décrétant que les alaouites étaient musulmans soit 37 ans avant leur reconnaissance par l’imam chiite libanais Moussa Sadr.
Ce qui rend les alaouites et les chiites solidaires, c’est avant tout la haine commune qu’ils soulèvent de la part des sunnites les plus orthodoxes. La tradition littéraire sunnite fourmille de passages à la fois anti-chiites et anti-alaouites.
Les uns et les autres sont considérés comme des « musulmans déviants » voire comme des « athées » (Zahir al din Al Faryabi, Al Lalika’i, chapitre 8, page 1545). L’imam al Boukhari du IXe siècle est une référence absolue du sunnisme orthodoxe. Il déclare en page 14 de son Khalq afaalil Ibad : « Malheur à celui qui a prié derrière un chiite, derrière les juifs et les chrétiens ; ne les salue pas, ne leur souhaite pas bonne fête, n’établit pas de contrat de mariage avec eux, ne les prend pas à témoins et ne mange pas la viande qu’ils ont égorgée. »
Le juriste sunnite du XIIIe siècle Ibn Taymiyya, référence centrale de tous les groupes armés anti-Assad, a décrété que les alaouites sont des êtres impurs et a prohibé tout mariage avec une femme de cette communauté. « Les bêtes qu’ils immolent sont illicites à la consommation. Leurs défunts ne méritent aucune prière ni d’être enterrés dans les cimetières des musulmans » ajoute-t-il.
Ibn Taymiyya va même jusqu’à proclamer que les alaouites sont les pires ennemis de l’Islam justifiant ainsi leur extermination comme un « grand acte de piété ». Les alaouites et les chiites sont donc davantage des compagnons d’infortune que d’inséparables coreligionnaires.

Le « réduit alaouite » n’existe pas

Après la Première Guerre mondiale, les Français, qui reçoivent le mandat sur la Syrie, créent un Territoire des Alaouites.
Se défiant du nationalisme arabe des sunnites, ils encouragent pendant l'entre-deux-guerres un particularisme alaouite qui veut faire de ceux-ci un peuple à part entière, n'ayant rien à voir avec les Arabes (assimilés dans l'ensemble du Moyen-Orient aux sunnites) et dont l'histoire remonterait aux Phéniciens, à la manière des Maronites au Liban.
La Syrie sous le mandat français
La zone historique de peuplement alaouite est certes délimitée par la Méditerranée à l’ouest et par l’Oronte à l’est. Elle est certes centrée sur la Montagne des Alaouites (Djébel Ansariyeh) qui court sur un axe Nord-Sud le long de la côte syrienne (1). Mais ce territoire n’existe tout simplement pas en tant que « réduit alaioute » surtout depuis qu’il accueille près d’un million de réfugiés sunnites venus d’Alep, Idleb, Homs, Raqqa, Damas et Deir ezzor.
Alaouites et sunnites de la côte vivent dans les mêmes quartiers, fréquentent les mêmes écoles et travaillent dans les mêmes entreprises. Malgré le discours incendiaire des groupes anti-régimes, à Tartous comme à Damas, à Lattaquié comme à Hama, alaouites et sunnites ont pris goût à la coexistence.

Assad n’est pas alaouite

L’obsession des médias à vouloir associer Assad aux alaouites mérite également que l’on s’y attarde.
Nous ignorons si Bachar el Assad a suivi les rites de passage, obligatoire pour tout adolescent alaouite.
Quand bien même il aurait été initié à l’enseignement alaouite, le président syrien n’est pas exclusivement alaouite et ce, pour plusieurs raisons objectives. D’abord, Bachar el Assad n’a jamais revendiqué son alaouité. Il ne s’est jamais présenté comme tel. Il n’a jamais prononcé ce mot publiquement. Il se dit volontiers arabe, musulman, baassiste, patriote, socialiste, laïc mais jamais alaouite.
D’autre part, Bachar el Assad n’est jamais apparu publiquement aux côtés de représentants religieux alaouites. Les cheikhs alaouites n’ont aucune visibilité, aucun statut officiel ni même le moindre pouvoir dans la Syrie baassiste. Lors de ses rares apparitions publiques, Assad prie dans des mosquées sunnites à la façon sunnite aux côtés de représentants du culte sunnite. Il est généralement accompagné du ministre des affaires religieuses (waqf) Mohammed Abdoul Sattar Sayyed et du Mufti (autorité sunnite) de la République, le cheikh Badreddine Hassoune, ce même cheikh sunnite que France 2 qualifia de leader alaouite (2) comme pour valider la thèse du « complot alaouite » à la tête de l’Etat syrien.
Au lieu de calmer le jeu dans cette zone de haute turbulence que constitue le Moyen-Orient, les gouvernements occidentaux et leurs relais médiatiques s’acharnent sur les derniers régimes autoritaires qui offrent une protection aux minorités, exposant celles-ci à une épuration religieuse digne des heures les plus sombres de l’Inquisition médiévale. Si nos médias veulent rendre service aux Syriens, ils seraient bien inspirés de s’affranchir de leur vision sectaire car comme disait Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »
Notes

(1) La zone de peuplement alaouite dépasse les frontières de la Syrie. Elle s’étale de Mersin dans le Sud de la Turquie où vivent plus de 500.000 alaouites jusqu’à Tripoli dans le Nord du Liban où vivent près de 150.000 alaouites.

(2) France 2, Envoyé spécial, 19 janvier 2012

[3]  Excommunicant : en arabe : takfiri, qui signifie littéralement « excommunication ». Les takfiris considèrent les musulmans ne partageant pas leur point de vue comme étant des apostats, donc des cibles légitimes pour leurs assassinats, viol, rapine, esclavage, etc)