samedi 20 août 2016

Guerre d'Algérie. Témoignage à Akbou, Kabylie



Originaire des Ardennes, je suis issu d'un milieu très pauvre. Je suis un ouvrier, un autodidacte. Je n'ai pour tout bagage qu'un modeste Certificat d'Etude Primaire.

En 1958, j'avais 17 ans, j'étais opposé et déterminé à lutter contre la guerre qui sévissait en Algérie. C'est tout naturellement que j'ai adhéré au Parti Communiste Français. C'était avant le retour de De Gaulle aux affaires du pays. Avec des camarades de mon âge, en 1959, nous avons créé un cercle de l'Union des Jeunesses Communistes de France dont je fus le Secrétaire.

Nous luttions sans relâche contre la guerre coloniale menée par la France en Algérie. Mon modeste témoignage est celui d'un ex-jeune appelé communiste, celui d'un anticolonialiste qui ne voulait pas tuer de pauvres gens.

Originaire des Ardennes, je suis issu d'un milieu très pauvre. Je suis un ouvrier, un autodidacte. Je n'ai pour tout bagage qu'un modeste Certificat d'Études Primaire.
En 1958, j'avais 17 ans, j'étais opposé et déterminé à lutter contre la guerre qui sévissait en Algérie. C'est tout naturellement que j'ai adhéré au Parti Communiste Français. C'était avant le retour de De Gaulle aux affaires du pays. Avec des camarades de mon âge, en 1959, nous avons créé un cercle de l'Union des Jeunesses Communistes de France dont je fus le Secrétaire.
Nous luttions sans relâche contre la guerre coloniale menée par la France en Algérie. Mon modeste témoignage est celui d'un ex-jeune appelé communiste, celui d'un anticolonialiste qui ne voulait pas tuer de pauvres gens.
Pour marquer mon opposition à cette guerre coloniale, à deux reprises, j'ai refusé de me présenter aux Conseils de révision les 14 mars et 30 juin 1960. Peu de temps après mon second refus, les gendarmes sont venus me trouver sur mon lieu de travail.
Ils m'ont menacé, traité de "forte tête" avec promesse  d'une incorporation directe en Algérie en unités disciplinaires. Selon eux, "j'allais me faire dresser, mater à coups de poings dans la gueule et à coups de pieds."
Le 16 septembre 1960, les deux mêmes gendarmes sont venus me chercher et m'ont emmené, menotté et tenu en laisse comme un chien. J'ai traversé la ville jusqu'à la gare pour aller faire mes 3 jours à Commercy (55). 
Ma lettre était prête pour De Gaulle. Je lui écrivais mon refus de participer à cette guerre. Je ne voulais pas combattre le peuple algérien. J'ai écrit à un de mes oncles  pour lui en faire part. Mon oncle qui était cheminot, militait au PCF. Il m'a de suite répondu  et déconseillé d'écrire à De Gaulle. Il disait que les sanctions étaient très fortes, que le travail des jeunes communistes était de militer  au sein de leur unité contre la guerre. J'ai gardé la lettre de mon oncle, datée du 4 août 1960. Mon oncle avait raison. La plupart des appelés n'étaient pas politisés. Il fallait donc essayer d'entrainer un maximum de jeunes soldats dans l'action contre la guerre pour aider à leur prise de conscience sur la nature de cette guerre coloniale, imbécile et sans issue.
Le travail a fini par payer puisque lors du putsch des généraux félons, en avril 1961, les bidasses n'ont pas suivi les généraux factieux dans leur folle aventure. 
Après mûres réflexions, j'ai fini par suivre les conseils de mon oncle que je vénérais. 
J'ai été incorporé direct à Oued-Smar, en février 1961, dans une compagnie disciplinaire pour y effectuer le Centre d'Instruction (CI). Ce fut très dur. Ce camp était une annexe de la BA 149, à Maison-Blanche.
A l'intérieur du camp, il y avait une prison interarmes, plus exactement un bagne militaire, commandée par une brute, l'adjudant BIRR de la BA 149. C'était un colosse qui tabassait les soldats internés.  
Le commandant de notre compagnie était le lieutenant de carrière Merviel qui a également commandé la BRCS de Maison-Blanche. 
J'étais dès mon arrivée à Oued-Smar dans le collimateur des chefs. Nous avions des lits à étage avec un écriteau à notre nom. Je dormais à l'étage et mon voisin du dessous était l'acteur de cinéma Samy Frey. Il n'est jamais venu.
Lors de ce CI, les conditions de vie des appelés étaient très dures, répressives et brutales. 
Le lieutenant Merviel, commandant du CI nous a averti que nous étions dans une compagnie disciplinaire. Les "fortes têtes" seront matées. 
Dans ma section, un sergent de carrière corse, un abruti, nous en faisait baver. 
Les classes étaient très physiques, beaucoup de gus atterrissaient à l'infirmerie. 
Les marches de 15, 30, 45, voire 60 kms étaient au programme. 
Des camions nous embarquaient  et nous lâchaient loin du camp avec une boussole qu'il ne fallait surtout pas perdre sous peine de sévères représailles et ce, dans un pays  où sévissait la guerre. Des gars étaient épuisés. Des camions les ramassaient des heures après, perdus et hagards, certains quatre jours après le lâchage dans la nature. J'avais tellement d'ampoules à force de marcher avec les godillots à clous, que je n'ai pas pu faire la marche des 45 kms mais j'ai fait les deux autres amuse-gueule précédents  de 15 et 30 kms.
La marche des 60 kms a été annulée tant celle des 45 kms avait fait de dégâts dans les organismes des gars.
La partie physique était agrémentée de conférences assénées par un commandant de l'armée de l'air qui tenait des propos menaçants et virulents à l'encontre des soldats qui seraient membres du PCA et du PCF. Des poings se serraient sous les tables.
Un autre aspect des joies du camp de Oued-Smar : « les travaux d'intérêt commun » qui avaient toujours lieu après les exercices harassants de la journée, le soir de préférence.
J'étais toujours dans le lot. Nous étions morts de fatigue mais la serpette Corse prenait plaisir à s'acharner sur nous pour nous humilier. Cet abruti désignait toujours les six ou huit plus grands et plus petits de la compagnie qui étaient toujours les mêmes.
A l'aide d'une masse et d'une pioche, on cassait d'énormes pierres pour ensuite les charger dans une brouette en bois dont la roue munie d'un cerceau était déformée, ce qui rendait le transport cahoteux plus difficile. Les brouettées de pierres étaient destinées à la prison-bagne commandée par l'adjudant BIRR. Je portais toujours la brouette de cailloux que je renversais souvent, ce qui m'attirait les foudres du sergent Corse. Quand je n'en pouvais plus, un autre prenait le relais  et ainsi de suite. 
Vient ensuite l'autre amuse-gueule qui précède le "séjour" chez BIRR, appelé pompeusement "Tenue de campagne". C'était la "pelote", une punition très brutale. La serpette Corse se régalait après les repas du midi et du soir. Il sévissait de préférence le soir. Les "fusillés pour l'exemple", 1/2/3/4 gus à la fois subissaient les crises de ce sadique. Le Corse haïssait les appelés.  J'ai fait une "tenue de campagne" avec le Corse pour des "pompes" mal faites. L'abruti, sifflet à la main ou dans sa gueule de sadique, la cravache dans l'autre main, hurlait et humiliait sur le macadam de la place du drapeau. Le pauvre trouffion portait la capote d'hiver, les casques lourds et légers, la MAT49 et ses huit chargeurs de 32 cartouches et le paquetage de 40 kg. Avec tout ce barda, il fallait courir, se coucher, ramper sur le côté, puis sur l'autre et rebelote, le tout rythmé à coups de sifflet, de coups de lattes dans les côtes et de vociférations de l'énergumène. On ne pouvait tenir la cadence imposée.
Nous avons eu de la chance. Ce fut encore plus dur pour la classe précédente puisque l'enfoiré qui sévissait tirait au pistolet, à balles réelles à quelques centimètres du "coupable".
Officiellement, aucune jeune recrue du CI ne devait être internée  chez BIRR et pourtant, je suis quasi certain que deux appelés séminaristes qui militaient à visage découvert contre la guerre, ont été internés chez BIRR. Ils n'ont pas fait une semaine de classes.
Hélas, le sadique Corse n'était pas le seul à faire subir des "tenues de campagne" aux appelés. Un caporal-chef appelé du contingent, m'a infligé  une seconde "tenue de campagne". Le motif : il n'aimait pas les petits. J'ai refusé de subir une seconde fois le supplice mais l'ordure a fait "mieux" puisque après les repas du soir, des appelés en armes m'emmenaient chez BIRR à la "VILLA". C'était début avril 1961. Retour au CI le lendemain matin, très tôt, avec les détenus qui effectuaient le réveil musculaire cadencé au sifflet, en courant les mains croisées sur la tête, en chantant des chants nazis. Certains compagnons de misère portaient des traces de sévices infligés par BIRR et son chien de garde, à coups de manches de pioche. La seule évocation des noms de BIRR et de la "VILLA" terrifiaient les bidasses. Plusieurs fois par jour était effectué sous les coups de ceinturon, côté boucle, le ramping sous les barbelés, déchirant les fringues.
Pour un défaut de cravate, BIRR ramassait les gars et les internait. Si un soldat trop amoché était conduit à l'infirmerie, il était toujours accompagné d'un appelé en arme. 
Le tortionnaire BIRR était secondé par un sergent de carrière, un colosse, son chien de garde qui s'est retrouvé chef de taule pour avoir réussi à mettre une raclée à BIRR dont le sadisme allait jusqu'à obliger des détenus appelés du contingent de droit commun, à tabasser l'un des leurs. Les coups de manche de pioche étaient assénés par le chien de garde selon son humeur. BIRR était surnommé le SS sur la BA149.
Les nuits étaient fraiches. BIRR aimait faire irruption en pleine nuit. Le tyran obligeait les détenus à rester dehors, nus, humiliés, leur linge plié sur les bras. BIRR choisissait un homme au hasard et jetait son linge à terre puis l'obligeait à le ramasser. Le linge était forcément sale. Le pervers entrait alors dans une violente colère et infligeait au pauvre bougre, devant ses camarades d'infortune une terrible raclée. Certains détenus blessés devaient consulter le médecin à l'infirmerie.
A ma connaissance, jamais un médecin militaire de la BA149 n'est intervenu pour protester  et dénoncer les sévices perpétrés à la sinistre prison-bagne de Oued-Smar, qui était pourtant partie intégrante de l'immense BA149. 
Le colonel Langlois, commandant de la BA149 ne pouvait ignorer le calvaire subi par les gus internés. Ce colonel a eu une attitude douteuse lors du putsch des généraux félons, en avril 1961.
La jeunesse d'aujourd'hui n'a pas connaissance des pratiques avilissantes et dégradantes subies par des soldats, la plupart des appelés, infligées par des brutes gradées portant l'uniforme de l'armée française.
Avec le recul des ans, je me demande parfois comment un peuple qui a tant souffert de la barbarie nazie peut avoir  des fils qui revendiquent cette violence fasciste?
ATTITUDE DES SOLDATS DU CI DE OUED-SMAR LORS DU PUTSCH DES GÉNÉRAUX FÉLONS EN AVRIL 1961
Je précise que notre CI était disciplinaire. Je n'avais pas 20 ans.
Le putsch s'est déclenché  dans la nuit du vendredi 21 au samedi 22 avril 1961.
Bien qu'habitués au réveil matinal, nous avons brusquement été réveillés par des bruits insolites de véhicules chenillés. Notre camp était investi de blindés légers de la légion étrangère, les fantassins au béret vert, armés jusqu'aux dents, étaient déployés en tirailleurs. Nous ne comprenions pas ce qui se passait. L'écoute de radio Alger sur les transistors ne nous donnait à entendre que de la musique militaire.
Les treize pied-noirs de notre compagnie ne cachaient pas leur joie alors que nous les métropolitains, nous ne partagions pas leur exubérance. On se méfiait donc des treize pied-noirs que nous savions acquis aux généraux putschistes.
Curieusement, du lieutenant MERVIEL à la serpette Corse, les engagés s'étaient tous volatilisés. Nous n'avions plus de chefs. Entre appelés, les discussions étaient incessantes et animées. Nous étions tous d'accord et refusions de suivre les généraux félons mais, que faire? Comment procéder pour marquer notre opposition à ces traitres. Le travail au corps des militants des jeunesses communistes, en direction des appelés moins politisés, fut intense. Sur toute la compagnie, à l'exception des treize pieds-noirs, seul un métropolitain qui professait des idées extrémistes favorables aux séditieux, tentait d'entrainer les gars avec les factieux. Nous l'avons isolé.
Nous les appelés, nous étions tous favorables au refus de tout travail et de tout ordre des chefs. La situation était incontrôlable et dangereuse puisque nous ne savions pas ce qui se passait dans les autres unités, les factieux s'étant rendus maitre de tous les médias. Les mercenaires au béret vert de la légion étrangère trainaient alentours. J'ajoute que les bérets noirs des commandos de l'air parachutistes étaient avec le 1er REP le fer de lance des putschistes.
Dans l'après-midi de ce 22 avril 1961, trois anciens de la BA149 sont venus dans nos piaules pour discuter avec nous de la situation sur la base. Ils nous ont dit que tous les appelés de la BA149 et tous les marins de l'aéronavale étaient en grève. Les trois anciens nous ont demandé de nous joindre à eux. Sans aucune hésitation, nous avons accepté.
En fin d'après-midi de ce samedi 22 avril 1961, le colonel LANGLOIS, commandant la BA149 est venu dans nos baraques, flanqué de la serpette Corse, la cravache à la main. Le Corse a gueulé : "A vos rangs, fixe!". Personne n'a bougé. Le faux-cul de colonel LANGLOIS, a essayé de bredouiller qu'il ne fallait pas suivre les anciens alors que nous refusions tout travail et obéissance à nos supérieurs. Un camarade soldat a demandé à LANGLOIS de se positionner contre les factieux. LANGLOIS ne l'a pas fait et n'a pas condamné les félons. LANGLOIS et son chien de garde Corse ont piteusement rebroussé chemin.   
Dimanche 23 avril 1961 au soir :
De Gaulle s'est exprimé à la télévision. Il a demandé de mettre les généraux félons  en échec.
Je précise pour l'avoir moi-même vécu, que nous n'avons pas attendu après De Gaulle pour nous opposer par le refus d'obéissance aux généraux putschistes.
Lundi 24 avril 1961 : Les soldats des bases aériennes de Maison-Blanche et de Blida manifestent leur opposition aux factieux par une vive résistance. A Maison-Blanche, l'Internationale est chantée  par les soldats. Toujours à Maison-Blanche, les soldats de l'aéronavale et de l'aviation sont toujours en grève. Les mécaniciens avions " sabotent " volontairement  les appareils en enlevant une pièce maitresse par crainte  que les factieux ne forcent  les pilotes à utiliser les avions à des fins séditieuses. Les personnels navigants (P.N.) ont capté la longueur d'onde des véhicules de la légion étrangère. Ils ont émis un faux message, leur ordonnant de se diriger sur Alger. Ce subterfuge, pour éloigner la légion, leur faisait croire à un débarquement de fusiliers-marins, en provenance d'Hyères-Palivestre et qui devait les encercler. 
Mardi 25 avril 1961 : Des Nordatlas 2501 décollent de pistes différentes pour la métropole, bondés de bidasses. Grâce à cette action habile, les pilotes ont privé les putschistes d'un important moyen de transport aérien. L'un des avions s'est " crashé " en bout de piste sans gravité pour les gus, qui étaient nombreux pour un baptême de l'air improvisé. Nous étions sur la base où nous y avons vu des scènes incroyables, telle cette jeep qui roulait à l'aveuglette car une grappe humaine y était accrochée. Il y avait même des bidasses sur le capot. Il s'agissait de malades et de blessés légers en pyjamas, qui étaient sortis d'eux-mêmes de l'infirmerie. Ils brandissaient et agitaient des drapeaux tricolores. Des sous-officiers sillonnaient la base en voitures civiles, avec des drapeaux à croix de Lorraine, en criant ' Vive De Gaulle !".
Autre fait marquant de ce mardi 25 avril 1961 : Les bérets verts de la légion étrangère rappliquent pour boucler le parking sur lequel nous nous trouvions. Les officiers furieux hurlaient leurs ordres en allemand. Parmi ces allemands, il y avait d'anciens S.S. Je revois encore ces pilotes de l'armée de l'air, regardant comme nous, la scène. Un capitaine pilote s'est écrié : " Nous sommes " faits aux pattes ", alors qu'en même temps les légionnaires, ces mercenaires se ruaient sur les pilotes, sans ménagements, à coups de crosses dans les côtes. Cela se passait à quelques pas de nous. Les carottes étaient déjà cuites pour les factieux.
Si ma mémoire ne me trahit pas, c'est le matin du mardi 25 avril 1961 que le lieutenant Merviel est revenu parmi nous. Il a rassemblé la compagnie sur la place du drapeau. Il venait faire ses adieux aux gus du CI. Visiblement très ému et fier de ses bleus, il nous a demandé s'il pouvait compter sur nous. " Que les volontaires sortent du rang en avançant d'un pas !". Toute la compagnie a avancé, à l'exception de l'extrémiste de droite métropolitain. Le lieutenant Merviel avait les larmes aux yeux. Nous aussi. Il nous a remerciés individuellement en passant dans les rangs pour serrer la main et dire quelques mots de sympathie à chacun d'entre nous. Lorsqu'il est arrivé près de moi, la main franchement tendue, j'ai vu dans ses yeux une intense émotion. Il m'a dit : " Toi aussi, petit Tourtaux, tu es volontaire "? Il a ajouté : " Nous nous reverrons".  Je ne l'ai jamais revu.
Communiste, j'étais fiché. Il savait que j'étais marqué à l'encre rouge.
En contribuant à la mise en échec des généraux factieux, nous avons fait notre devoir, voilà tout. Ce fut la seule fois où je fus volontaire en Algérie.
Le mercredi 26 avril 1961, le C.I. étant terminé, c'est dans l'après-midi qu'avec une petite quinzaine de gus, je suis muté dans notre nouvelle affectation, l'ETR805, à Mouzaïaville.
Parmi les occupants du GMC, trois ou quatre pied-noirs qui ont soutenu les généraux factieux.
Mouzaïaville est située dans la Mitidja, près de Blida et des gorges de La Chiffa, un des hauts lieux de la Résistance algérienne à l'occupation coloniale française.
Notre GMC s'est arrêté à une intersection de routes pour laisser passer une importante colonne militaire qui n'était autre que le 1er REP (Régiment étranger parachutiste), fer de lance des séditieux. Les mercenaires du 1er REP qui étaient en fuite chantaient la chanson d'Edith Piaf " Non, rien de rien, non, je ne regrette rien "
Lors du passage du dernier véhicule de cette troupe d'élite, fer de lance des généraux putschistes, les mercenaires au béret vert ont tiré plusieurs rafales de MAT49 dans notre direction. Personne ne fut touché dans le GMC. 
Ainsi, les généraux félons Salan, Challe, Jouhaux et Zeller, des officiers de haut rang, parmi les plus décorés de l'armée française, ont tourné leurs armes contre la République qu'ils avaient pour mission de défendre. Des mercenaires légionnaires, portant l'uniforme de l'armée française ont tiré sur des soldats de conscription, portant aussi l'uniforme de l'armée française.
C'est l'action des appelés qui a fait échouer le plan des ultras colonialistes.
Mouzaïaville (Mitidja) : En fin d'après-midi du 26 avril 1961, arrivée à la Base Ecole de Transmissions, l'ETR805, à Mouzaïaville.
Les quelques appelés en provenance de Oued-Smar sont mis à l'écart. A l'appel de mon nom, un gradé m'a isolé des autres soldats puis emmené au bureau. L'accueil du gratte-papier fut glacial, il me dit : "tu es repéré comme communiste, t'as intérêt à ne pas faire le malin".
L'insécurité était permanente à Mouzaïaville. Des gus pas rassurés partaient en patrouille la MAT49 armée. A plusieurs reprises, des rafales sont parties, semant la panique au sein des patrouilles. Par chance, pas de blessés à déplorer mais la répression était terrible contre les fautifs. 
Des  sous-officiers de carrière cherchaient à choper l'arme de bidasses de garde endormis pendant leur faction dans le mirador.
Lors des multiples sorties où je ne voulais pas tuer de pauvres gens, j'ai toujours eu la baraka. Je redoutais surtout la SIR (Section d’Intervention Rapide) où nous allions en renfort à la S.P., l'équivalent à Mouzaïa d'un commando de chasse, une section de tueurs, ais-je appris des années après.
Lors des gardes-fermes uniquement de nuit, nous n'étions que sept soldats avec un FM à la ferme Féréol, une ordure qui n'aimais pas les appelés, qui a failli me faire retourner chez BIRR, à Oued-Smar parce que j'avais pris une noix sur l'arbre. Cette ordure aurait été butée par l'ALN.
Nous n'étions que trois pauvres bougres à la ferme Cleyne, ce pied-noir nous fichait la paix.
Les fermes étaient souvent harcelées mais on ne tirait jamais la fusée rouge pour que la S.P sorte et risque de tomber en embuscade. Par contre, très souvent, dans les fermes alentours gardées par des biffins, beaucoup plus nombreux que nous dans les fermes, les gars lançaient la fusée rouge faisant courir le risque à d'autres soldats d'être pris en embuscade.
Dans ce secteur chaud où l'ALN était très active, il n'y avait pas de planqués à l'ETR805. Il n'y avait pas assez de bonhommes, d'où la fréquence rapprochée des sorties et garde-fermes qui revenaient au mieux tous les trois jours.
A Mouzaïa, lorsqu'un gars de la S.P. passait libérable, c'est-à dire à 100 jours de la"quille", systématiquement, il refusait de sortir en mission. Ces gars qui avaient de longs mois durant crapahuté, ne voulaient pas se faire tuer à si peu " au jus ".
Dans ce secteur, quasiment tous les jours, ça accrochait dans les gorges de La Chiffa, confirmé par mon camarade Henri Alleg, dans son ouvrage, " Prisonniers de guerre ", page 17.
Près de notre camp, il y avait un sinistre et miséreux Camp de regroupement.
Quelques dates :
Nuit du 13/14 juillet 1961 : De garde avec deux camarades à la ferme Cleyne, je me suis assoupi pendant ma faction. C'est l'escorte de la S.P qui était très en retard, à cause de poteaux téléphoniques abattus sur la route, qui nous a réveillés. Ce jour-là, j'ai encore eu la baraka. Si l'escorte avait été commandée par un pied-noir, j'étais bon pour retourner au bagne de Oued-Smar ou à Tinfouchi.
30 juillet 1961 : Mon seul quartier libre à Mouzaïaville est gravé dans ma mémoire. Avec deux camarades, nous attendions le train pour Blida où nous voulions aller. Il n'est pas arrivé. Il avait sauté sur un 105 piégé. Nous avons pris un vieux bus dont les voyageurs nous étaient visiblement hostiles puis, arrivée à Blida, où les ennuis ont commencé. Nous avons failli nous faire tuer à coups de pierres.
6 septembre 1961 : Un commando de l'ALN tue deux pied-noirs. Le fils blessé réussit à alerter la S.P. où j'étais de S.I.R. ce jour-là. Six soldats commandés par un pied-noir sont sortis avec le half-track, équipé d'une mitrailleuse 12,7.
Trois hommes couraient. L'un d'eux fut tué sur le coup par un tireur d'élite au MAS49 et les deux autres blessés, ont été achevés par le pied-noir et trois ou quatre appelés. Pour le retour au camp du half-track, une des victimes était juchée sur la 12,7 et les deux autres dans le half-track. Lors de la traversée de la rue principale, ovation des pied-noirs exubérants criant " bravo l'aviation !". 
A l'arrivée au camp, des gendarmes attendaient, en treillis de combat encore dans les plis, qui n'avaient visiblement jamais servi. Tels des conquérants, ils ont ouvert l'arrière du half-track en vociférant après les gars qui ne déscendaient pas assez vite alors que des jeunes gens gisaient sans vie dans le half-track. Tels des sauvages, les gendarmes tiraient les corps des victimes  par les cheveux, les jetant à terre. L'un des gendarmes a perdu de sa superbe. Il venait de mettre sa main dans la cervelle éclatée d'une des victimes qui furent jetées dans une baraque appelée l'abattoir. Les trois algériens avaient environ notre âge.
7 septembre 1961 : 80 personnes de la population mâle, comme disaient les chefs, ont été raflés et emmenés de force à la baraque où ils ont été contraints de passer lentement devant les trois victimes. Parmi les 80 raflés, 14 (?)personnes, dont de jeunes garçons de 13/14 ans, n'avaient pas de pièce d'identité.
Jusque très tard dans la nuit, de notre baraque, nous avons entendu des cris inaudibles, comme des bêtes que l'on égorge. C'était insoutenable. Nous n'avons pas vu mais nous avons compris que les sans-papiers, dont les enfants ont été torturés à mort.
Après quelques jours d'exposition à l'abattoir, les trois corps des jeunes gens abattus par la S.P. auraient été jetés dans la benne à ordures et conduits à la décharge publique. Selon des anciens, cette pratique était fréquente à Mouzaïa.
12 septembre 1961 : - 22hEn patrouille dans Mouzaïaville, explosion due à un plasticage de l'O.A.S. Trois algériens sont grièvement blessés. L'un d'eux agonise, la poitrine transpercée par un morceau de bois. Lors de l'explosion, j'ai reçu un choc à la tête.  L'arcade sourcilière était ouverte et saignait abondamment. J'ai « tourné de l'œil » et "atterri" à l'infirmerie où j'ai été recousu et renvoyé à ma piaule.
A Mouzaïaville, avec deux autres appelés communistes, nous avions fait le choix de militer clandestinement au sein de notre unité contre la guerre. Choix très dangereux d'autant que dans ce secteur, l'A.L.N. était très active. Nous faisions de petits papillons " Paix en Algérie ". On se planquait  derrière les moustiquaires des fillods pendant l'appel du courrier par le vaguemestre. Mon voisin de chambrée à qui nous n'avions rien dit, a répondu "présent" à notre place et a ramené le courrier. Ne voulant pas lui faire courir de risques, il n'était pas au courant mais se doutait, nous avons fait nos papillons un jour sur deux, puis sur trois. Pas vu, pas pris. Nous avons décidé d'écrire de petits textes sur nos papillons, tels que : " Paix en Algérie - NON à cette guerre imbécile et sans issue -  que l'on signait : Des appelés communistes ! (le tout écrit en script).
Tout a une fin - J'ai été dénoncé et immédiatement embarqué en GMC et conduit en avion sous escorte en armes, vers une destination inconnue.
Vu mes antécédants, refus à deux reprises de me présenter aux conseils de révision, j'étais déjà dans le collimateur des chefs avant mon départ  pour le service militaire. A Mouzaïaville, où le peloton de caporal était obligatoire et durait un mois, j'ai été éjecté au bout de 15 jours. Un gradé m'a dit que l'armée ne savait plus où me mettre. J'ai réalisé soudain les risques encourus. Reclassé " sans spécialité ", donc " bon à rien ", les risques étaient accrus pour moi.
Une anecdote sur Mouzaïaville qui m'a marquée et dont je souhaiterais retrouver la ou des personnes présentes lors des faits.
C'était pendant l'été 1961. Nous étions au réfectoire qui ne l'était que de nom. Des ouvriers algériens qui travaillaient à la construction d'un mur, étaient commandés par un pied-noir qui les traitait plus bas que terre. Je bouillais intérieurement. Lorsque je suis arrivé avec mon plateau près d'un homme plus très jeune en burnous, je lui ai dit à l'oreille : " Vous ne pouvez pas le descendre?". Deux ou trois jours plus tard, les ouvriers algériens étaient toujours là mais pas le chef pied-noir qui les insultait. L'algérien qui m'avait reconnu, s'est approché et m'a dit à l'oreille : " L'A.L.N. l'a tué ". 
A Mouzaïaville, j'étais souvent désigné " volontaire d'office ". J'ai en mémoire l'Aller-Retour Mouzaïaville-El Affroun. Ce jour-là, j'ai vraiment craint pour ma vie. 
SMU de la BAO 211 de TELERGMA (CONSTANTINOIS)
Vers la mi-septembre 1961, suite à dénonciation, j'ai été embarqué en avion pour une nouvelle affectation, la SMU44/211, commandée par le capitaine Nantille, un caractériel qui piquait de sacrées colères et qui était bègue. L'homme était un baroudeur. Légion d'honneur au feu, en Indochine. Nantille était secondé par l'adjudant-chef Jeanjacquot, médaille militaire au feu, en Indochine. C'était un ivrogne, plus bête que méchant.
J'étais la bête noire de Nantille. J'étais son sale communiste. La SMU (soute à munitions) était réputée être la section disciplinaire de la base tant les tâches étaient pénibles et dangereuses.
J'insiste sur un point : jamais l'armée n'a admise ni reconnue l'existence d'unités disciplinaires et de bagnes militaires.
A deux reprises, Nantille m'a envoyé à l'infirmerie d'où je suis ressorti "certifié artificier", m'a-t-on dit alors que je n'y connaissais rien. En réalité, l'armée s'est empressée  de "régulariser" , via le médical, de se dédouaner d'un éventuel accident de santé. 
Le travail en soute consistait à charger et décharger à longueurs de journées des caisses de munitions et à manipuler des roquettes et des bombes pesant de 100 à 1000 livres. Nous redoutions les bombes anglaises striées, à fragmentation de 220 livres qui pouvaient exploser au moindre petit choc.
Nous devions souvent trimer de longues journées avant d'avoir un repos.

Nous fabriquions le terrifiant napalm, camouflé sous l'appellation "bidons spéciaux". 

 

Nantille me faisait participer aux dangereux exercices de tir avions avec d'ex-commandos de l'air dissous parce qu'ils avaient activement participé au putsch des généraux félons, en avril 1961. Les avions de chasse T28 et les Corsairs de l'aéronavale s'exerçaient  au tir sur des cibles que nous avions fixées sur de rochers dans le djebel. Après chaque passage de vagues d'avions, on courrait coller des macarons sur les impacts de balles. Il ne fallait pas lambiner, les avions revenaient vite et pouvaient nous descendre. On se planquait derrière des rochers. Des éclats giclaient tous azimuts. 
Autre exemple de répression feutrée à l'armée    
A quatre reprises dont une de nuit, j'ai sciemment été envoyé en patrouilles sans munitions. A nos protestations, un gradé vociférait : "c'est ça ou le rabiot à la "quille"; y a pas de risques, le Cessez-le-Feu est proche".
Il faut avoir vécu de tels moments pour savoir ce qu'est la peur. A chacune de ces patrouilles, j'ai craint directement pour ma vie.
Autre exemple de brimade déguisée
Après  d'harassantes journées en SMU, je retournais en soute pour tenir seul et de nuit des permanences en vue de démarrer le groupe électrogène en cas de grève des électriciens ordonnées par la criminelle O.A.S. J'étais un briseur de grèves qui n'était pas mécontent de casser celle de la terroriste O.A.S. J'insiste sur le fait que j’ai tenu ces permanences SEUL, de nuit, avec une mitraillette MAT49, durant de nombreuses nuits, avant et après le Cessez-le-Feu.
Un attentat O.A.S. déjoué le vendredi 13 avril 1962
Alors qu'avec deux camarades de la SMU, nous allions chercher une bombe de 1000 livres pour la faire rouler dans un wagon dont le chargement était destiné à la métropole, nous avons découvert un pain de plastic posé sur une bombe. A la vue du plastic, les visages sont devenus livides avec d'énormes gouttes de sueur. La peur était indescriptible. Le colonel, une peau de vache qui n'aimait pas les appelés, nous a convoqués dans son bureau, nous a félicité et c'est tout. Nous ne saurons jamais s'il a été honoré grâce aux trois pauvres bougres qui ont évité un carnage car les bombes qui étaient stockées sur un quai et les wagons en attente de chargement, se trouvaient en plein coeur de la base où stationnaient des centaines de soldats.
15 août 1962, journée de repos mémorable à Philippeville. Du jamais vu pour moi en 18 mois d'armée.
Les "Centres de repos"
En octobre 1962, la guerre était finie. L'Algérie, au prix du sang de ses filles et fils du peuple, venait d'arracher son Indépendance.
J'ai été "choisi" pour aller en "Centre de repos" ainsi que d'autres soldats, nous étions une douzaine d'appelés, parmi les plus anciens, ayant vécus de durs moments durant de longs mois, tous affectés dans le Constantinois. 
Nous avons pensé que les autorités militaires espéraient ainsi gommer, camoufler les incontestables réalités vécues par les 12 bidasses. Pourquoi cette douceur soudaine?
Cette "tendresse" à notre égard, ne m'a pas fait oublier ma condition de soldat rebelle brimé.
LES TERRIBLES SEQUELLES ENGENDREES PAR LA GUERRE D'ALGERIE NOTAMMENT SUR LES SOLDATS REBELLES QUI SOUTENAIENT A LEUR MANIERE LA LUTTE DU PEUPLE ALGERIEN
Je voudrais en quelques mots attirer l'attention sur un sujet encore tabou pour les autorités françaises concernant les soldats qui ne voulaient pas être complices ou tuer de pauvres gens. Je veux brièvement évoquer le sujet douloureux des traumatismes de guerres.
Les successifs gouvernements de la France refusent de reconnaitre leur responsabilité dans cette guerre. Tous s'esquivent en niant les souffrances physiques et morales subies par les centaines de milliers d'appelés qu'ils ont jetés dans la guerre.
La négation des souffrances endurées lors de cette guerre est un facteur démultiplicateur et aggravant, provocant de nouvelles souffrances encore aiguës chez la victime.
Les sévices infligés  et subis en Algérie pendant la guerre qui constituent des violations massives, particulièrement graves et illégales des droits fondamentaux  pendant cette période ne peuvent être considérées  comme des conditions "normales" ou comme procédant "des conditions générales" d'un conflit armé.
Il est établi que j'ai été  comme tel, victime de mauvais traitements et  sévices spécifiques, ayant présenté  des témoignages précis et circonstanciés qui établissent sans contexte la véracité de mes dires.
Ces faits constituent, contrairement à ce que soutiennent  le Conseil d'Etat  et la Cour Régionale, des circonstances particulières dont je me suis trouvé personnellement atteint, comme victime directe ou comme témoin. Il convient d'estimer que par leur refus de reconnaitre les traumatismes subis, les autorités  françaises semblent souhaiter toujours me faire payer mon opposition résolue à la Guerre d'Algérie.
Il est tout à fait vraisemblable que les responsables de la tenue des JMO (Journaux de Marche et Opérations), n'aient pas consigné les sévices, tortures, exécutions, violences envers les appelés et autres actions totalement illégales qui ont été perpétrées à cette époque.